Ganimat Zahid
Une grande guerre vient de commencer sur les territoires de l’Azerbaïdjan. Après le traité de cessez-le-feu signé en 1994 à Bichkek, entre les l’Arménie et l’Azerbaïdjan, tout le monde attendait la reprise de cette grande guerre. Puisque la paix n’était pas trouvée du fait des territoires disputés, cela signifiait que la guerre redémarrerait tôt ou tard.
Les initiatives internationales lancées en vue d’instauration de la paix depuis 1992, s’étaient poursuivies par la création d’une mission d’intermédiation nommée « Groupe de Minsk » (dont la France est co-présidente) au sein l’OSCE. Or, cette mission n’a jamais réussi à aboutir à un résultat concret. Les diplomates des 3 pays co-présidents du Groupe de Minsk, sous prétexte qu’il fallait éviter la guerre à tout prix, du moins, la retarder le plus possible, donnaient l’impression que c’est la résolution même du conflit qu’ils reportaient et ce, jusqu’à un avenir incertain.
Ce retardement conscient avait plusieurs raisons. La première raison c’est le vrai manque de connaissances sur le fond du conflit :
1. Certains pensaient que c’était un conflit religieux entre une Arménie dont les habitants sont des chrétiens et un Azerbaïdjan dont la majorité des citoyens sont des musulmans. Bien loin de là. Aujourd’hui, l’un des alliés les plus sérieux et stables de l’Arménie, c’est l’Iran, un Etat dont la doctrine principale c’est l’exportation des principes chiites radicaux de la révolution religieuse islamique. Aujourd’hui, la grande majorité des pays arabes musulmans entretiennent des relations diplomatiques et commerciales au plus haut niveau avec l’Arménie.
2. Il y a d’autres qui estiment que l’Arménie est en guerre avec un pays qui est dirigé par un régime dictatorial et une famille noyée d’histoires de corruptions, les ALIEV. Ce serait donc, une guerre entre une démocratie et une dictature. Mais, c’est une mauvaise analyse. Car, le plus grand allié stratégique et militaire de l’Arménie, individuellement ou dans le cadre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective, c’est la Russie, le plus grand fournisseur de soutien aux régimes autoritaires au monde (le Venezuela, la Corée du nord, le Kuba, les dictatures d’Asie centrale et celle de la Syrie sont quelques exemples). La présence de la base militaire russe en Arménie est une preuve concrète de leur amitié historique.
3. Il s’y ajoute ceux qui pensent que l’objet principal du conflit, le Haut-Karabagh est un territoire appartenant historiquement aux habitants ethniquement arméniens et ils ont le droit de créer leur propre Etat sur ledit territoire. Cette approche nait d’une mauvaise interprétation de l’histoire dont on retient une partie sélectionnée qui soutient cet argument. De manière générale, le Caucase est une zone dont la carte ethnographique est très complexe. Si l’on retenait cet argument, on pourrait créer une république dans chaque village au Caucase et ce, avec un conflit territorial sanglant, car personne ne se mettrait d’accord sur les frontières. Il y a des dizaines de milliers d’habitants de la Géorgie, de la Russie, de l’Iran qui sont ethniquement azéris. Même en Arménie, le nombre d’habitants ethniquement azéris citoyens de l’Arménie soviétique (avant 1989) était le double des arméniens qui vivaient en Haut-Karabakh.
4. Le Haut-Karabakh est aussi azerbaidjanais qu’arménien, puisque la distinction entre le « haut » (montagneux) et le bas (plaine) est superficielle. Cela ne peut pas définir les identités éthiques de ce territoire. Avant la période soviétique il n’y avait pas de notions de Nagorny Karabakh (en russe : Haut, Montagneux) et de Karabakh « plat ». Il y avait un Karabakh, uni, entier. Les divisions climatiques, géographiques et historiques des territoires en Azerbaïdjan n’ont jamais eu de fond ethnique. Les régions comme Chirvan, Mugan, Mil, Apchéron, Karadakh (à ne pas confondre avec Karabakh, l’un veut dire « grand mont » et l’autre « grand jardin » en langue azérie) sont des toponymies dont les similaires on trouve même dans les pays voisins.
A l’époque soviétique, en tenant compte des sollicitations des arméniens habitants au Karabakh, Moscou avait donné une autonomie locale aux arméniens de la région. Or, il n’était pas possible de donner une autonomie à l’intégralité du Karabakh, puisque le nombre des arméniens constituait 15% de celui de la population de l’ensemble de Karabakh. Il avait donc fallu à Moscou de trouver un découpage permettant aux arméniens d’être majoritaire sur un territoire. C’est ce découpage sur la partie montagneuse du Karabakh qui a donné naissance au nom du Haut-Karabagh et à une collectivité locale autonome.
Il est vrai que ce sont des détails de l’histoire qui appartiennent au passé… Mais, il faut aussi en tenir compte, surtout de ses expériences positives. Je n’ajoute pas cela pour conclure sur celui qui a raison ou tort ? De toute façon, ces arguments ne serviraient à rien en ce moment. S’il y a une guerre, c’est que ces arguments ne semblent utiles à personne.
La question est ailleurs : pourquoi la grande guerre commence maintenant ?
Avant l’arrivée au pouvoir de Premier ministre arménien actuel, Nicol Pachinian, il existait un « accord silencieux » pour que la guerre ne s’éclate pas entre les 2 pays, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les gouvernements de 2 pays étaient attachés à Moscou avec les mêmes cordes. Vladimir Poutine pouvait les contrôler de la même manière et les dirigeants de 2 pays avaient des projets touchés de corruption en lien avec Moscou. En ce qui concerne ALIEV, la question est claire, il a des avoirs et des affaires dans les 4 coins du monde. Mais l’ex-président de l’Arménie, Kotcharïan, aussi est lié à la Russie avec des projets d’affaires douteuses. En plus, ces liens ne sont pas que ceux d’affaires. Il est curieux de constater que Poutine avait rencontré la femme de Kotcharïan lors de sa visite officielle en Arménie, en octobre 2019 et à la suite de cette visite, Poutine avait demandé la libération de Kotcharïan. Or, Pachinian avait décliné cette demande et choisi d’attendre que Kotcharïan mette en gage 4 millions de dollars pour être libéré (Il faut reconnaitre que le niveau de la corruption en Arménie est plus bas, puisqu’elle n’est pas un pays de pétrole, que la corruption dont les élites de l’Azerbaïdjan sont concernées).
Lors de son accession au pouvoir, comme un représentant des élites alternatives pro-occidentales, Nicol Pachinian avait devant lui un devoir très important : devenir le défenseur le plus ardent possible de la cause « Karabakh » afin d’éliminer le clan de Karabakh (arméniens de Karabakh devenus citoyens de l’Arménie et regroupés pour diriger l’Arménie) au pouvoir depuis 1998. C’est la raison pour laquelle il se mêlait plus des affaires jugées intérieures du Haut-Karabakh, plutôt que de s’occuper des problèmes de l’Arménie dont il était le Premier ministre, dans l’objectif de se montrer le plus « karabakhiste » possible. C’était incontournable, car les arméniens de Karabakh désormais installés en Arménie, le clan de Karabakh, tiennent des moyens très puissants au sein de l’Armée, dans le Commerce, dans la politique et ils ont de forts liens avec la Russie. Dans cet état d’esprit, Pachinian, s’est lancé dans des projets d’investissement très ambitieux portant sur les régions occupées de l’Azerbaïdjan, environnantes du Haut-Karabakh. Il a déclaré son intention de transférer la capitale du Haut-Karabakh de Stepanakert à Choucha, une ville très sensible pour les azéris. Au fur et à mesure, il s’est comporté comme le président de fait de l’Arménie et du Haut-Karabakh. Tout cela a déclenché naturellement un profond agacement en Azerbaïdjan.
D’un autre côté, Pachinian est une personne indésirable en Russie, même si cette dernière n’est pas naïve au point de renoncer à l’Arménie. Parmi les projets à court terme de la Russie, l’élimination du pouvoir de Pachinian, un « pro-occidental » en Arménie se trouve une place prioritaire. De manière générale, ni un leader arménien pro-occidental, ni un dirigeant d’Arménie capable de faire des concessions devant l’Azerbaïdjan ne serait jamais compatible avec les intentions de la Russie.
Dans le contexte actuel, la Russie qui observe les opérations militaires avec une « angoisse désintéressée » pense que la guerre doit durer jusqu’à ce que cela suffise à punir Pachinian, et de l’autre côté, il ne faut pas non plus que le conflit soit complétement résolu. C’est la position de la Russie et si cette dernière ne se mêle pas à ce processus, malgré ses moyens déterminants cela veut dire qu’elle maintient sa position classique. Il faut en plus tenir compte du fait que le Ministre des Affaires étrangères de la Russie est d’origine arménienne et il ne peut pas rester insensible à ce qui se passe depuis le 27 septembre dernier. Alors on peut facilement conclure que ce désintéressement surprenant cache une intention particulière.
Quel modèle pourrait-on retenir pour résoudre le conflit de Haut-Karabakh
Dans les pays occidentaux, nous attendons parler systématiquement du droit d’auto-détermination des peuples. Les arméniens aussi s’appuient sur ce principe. Les arguments de l’Azerbaïdjan se nourrissent du principe de l’inviolabilité des frontières, car les azéris pensent que les arméniens ont déjà utilisé leur droit d’auto-détermination en créant leur propre république, l’Arménie. Si l’on retient leur principe, dans ce cas la communauté azérie en Géorgie, un autre pays voisin, dont la population s’élève à 400 000 et celle des arméniens dont le nombre atteignent 150 000, pourraient oser demander les mêmes droits. Visiblement, c’est la raison pour laquelle, l’ancien président de la Géorgie, Mikheil Saakashvili s’est empressé à déclarer que le Haut-Karabakh était une partie intégrante de la République d’Azerbaïdjan.
Enfin, est-il vraiment possible de résoudre ce conflit définitivement, si l’on prend conscience de la haine interethnique entre les azerbaidjanais et arméniens ? Certainement, c’est possible et en Occident, l’on n’a jamais sérieusement abordé cette option.
Malheureusement, les options furent toujours les suivantes :
• Arracher le Haut-Karabakh de l’Azerbaïdjan et donner l’indépendance au premier ;
• Sanctionner l’Arménie en l’éloignant de cette question et forcer les deux parties à se mettre d’accord.
Ni l’une, ni l’autre ne peut apporter une solution pérenne. Tandis que la méthode consistant à donner une autonomie élargie au Haut-Karabakh est déjà connue, vérifiée, testée. C’est la seule voie de règlement du conflit de manière décisive. Et l’Occident, en soutenant les institutions démocratiques sur place, avec une forme du « Plan Marshal », pourrait renforcer la Paix dans le Caucase.